dimanche 27 mai 2007

Le travail c'est la santé...

Je fais partie de ceux qui s'étonnent depuis la petite enfance de ce phénomène caractéristique de notre société qu'est la "peur du chômage". L'ayant vécu moi-même, à plusieurs reprises même, je n'ai pas ressenti cette période comme une déchéance ou une chute, mais comme un passage, désagréable certes, car empêchant de s'inscrire dans une démarche de long terme, mais comme une période de renouveau, ouvrant vers de nouvelles opportunités, même si on m'avait un peu forcé à les vivre...

Alors, pourquoi le travail est une telle panacée aujourd'hui ? En a-t-il été autrement un jour ?


Il ne faut pas oublier l'étymologie des mots employés. Le mot "Travail" provient du latin tripalium, instrument de torture fait avec trois pieux de bois pour punir les esclaves récalcitrants, et le mot "Salaire", de salarium, la somme que percevaient les soldats Romains pour acheter leur sel, alors monnaie d'échange.

Le travail est donc associé à la notion de douleur. Depuis que l'Homme est sorti du Jardin d'Eden, il doit suer pour pouvoir manger. Rien ne lui est facile. La Terre lui refuse son fruit sans effort. C'est donc la Nature qui nous impose le travail, car nos besoins sont trop complexes pour se satisfaire de fruits cueillis, nous avons besoin de viande (la chasse c'est pas facile, n'en déplaise aux anti), de pain (faire une récolte, qui a déjà essayé tout seul ?), d'ustensiles divers pour stocker et transformer la nourriture et les matériaux bruts, pour se vêtir et se défendre. Bref, le fait de vivre demande une grande dépense d'énergie, et avant que les inventions récentes permettent à l'homme de produire plus avec moins d'effort, il fallait y aller pour gagner sa pitance.



Oui, sauf que...


Il y a toujours eu des petits malins, un peu plus balaises que les autres (physiquement et/ou intellectuellement), pour se dire que décidément travailler c'est trop dur, que voler c'est pas beau (et du coup qu'on a moins d'amis), alors que si on domine son prochain on peut avoir tout ce dont on a besoin (et même plus) sans trop se fatiguer.

La dominance, comme l'a démontré magistralement le regretté Docteur Henri Laborit, est le fruit de notre biologie de mammifères évolués. D'autres espèces la pratique aussi : les primates, les rongeurs évolués comme les souris ou les rats, les canidés, les grands félins, etc. Un ou plusieurs individus se mettent à la tête d'une communauté, et offre ses services de "guide" ou de "géniteur" en échange de nourriture, de respect, de femelles et d'honneurs. En retour il devra assurer son rôle en gérant les petites histoires de sa troupe, et se défendre contre les prétendants à son pouvoir. Laborit a démontré que le stress du dominant pouvait être plus nocif que le stress du dominé, car ce dernier avait au moins des moments de répit quand il avait obéi aux contraintes, alors que le chef est sous tension permanente. Chez nous cela se traduit par une recrudescence d'infarctus et autres maladies cardio-vasculaires, alors que pour le dominé il était plus soumis à des accidentes ou des maladies liées à son travail et à l'impossibilité de s'en sortir tout seul. Dans les deux cas, le seul salut ne peut venir que de la "fuite", soit réelle (je me barre !), soit dans l'imaginaire, plus facile et seul lieu non accessible par autrui (quoique la pub...)



Le travail a été pendant des millénaires réservé aux dominés, c'est à dire la plèbe et les esclaves. Les nobles, les militaires, les prêtres, ces trois classes qui dominent successivement et alternativement, voir concommitamment le pouvoir depuis toujours, ne travaillaient pas, elles. Elles s'occupaient à leurs activités en profitant du travail du commun des mortels, trop "heureux" de se voir dirigés, protégés, sauvés par ces classes dominantes.

Or, depuis environ huit siècles, l'occident s'est emparé d'une notion tout à fait étrangère, car née au Moyen-Orient deux millénaires plus tôt : le "commerce international" et son corollaire indispensable : la finance. Car pour aller acheter des épices en Inde ou des étoffes en Chine, pour les revendre plus cher que l'or (ou que les chewing-gum) à un public de dominants ayant les moyens et l'envie de montrer qu'ils le sont plus que les autres, il fallait des outils financiers de plus en plus sophistiqués. En effet, comment financer et assurer une expédition maritime au XIIe siècle, avec les risques immenses que cela impliquait ? Le gain escompté était de x10 à x50, alors l'investissement était rentable mais très risqué. Il fallait une grande flotte pour que au moins quelques bateaux reviennent sains et saufs et faire du profit. Seules quelques cités-états d'Europe ont pu trouver tous les ingrédients nécessaires à la pratique de cette activité : Bruges, Venise, Amsterdam, Londres, puis New-York, et maintenant San-Franciso/Los Angeles. Il faut pour cela attirer de nombreux entrepreneurs prêts à prendre des risques, des financiers ayant un capital à investir, et un régime politique libéral qui permette à chacun de s'enrichir sans se voir spolié par le monarque. C'est pourquoi ces villes citées plus haut ont pu réussir chacune pendant plusieurs siècles et contribuer à changer le monde en apportant des matières, des produits, des connaissances et des techniques du monde entier, favorisant la croissance mondiale par l'échange.



Certes, les grands Empires ont également permis tout cela, mais comme chacun le sait un Empire, fût-il le plus puissant du monde, à la fâcheuse tendance à provoquer à la fois la jalousie et la convoitise des peuples extérieurs, ainsi que les troubles intérieurs liés à la multiplicité des intérêts des peuples soumis à cet empire et qui un beau jour veulent à leur tour dominer. Bref, tous les empirent tombent, et seules des cités puissantes, appuyées par des populations nombreuses et un tant soit peu libres, peuvent profiter sur le long terme des bienfaits des échanges mondiaux et de la finance au service de l'enrichissement des peuples.

Bref, tout cela pour dire que le travail n'est que depuis très récemment une valeur universelle. C'est seulement lorsque les valeurs liées aux "Cités-Monde" nommées plus haut se sont répandues dans le reste de l'Europe, puis du globe, qu'il est devenu "à la mode" de s'enrichir par le travail. L'opulence des Vénitiens, des Londoniens et des New-Yorkais dans un monde où la misère était monnaie courante, ont fait naître l'espoir d'une vie meilleures à d'autres peuples qui vivaient sous d'autres systèmes politiques, moins libéralistes, et plus occupés à maintenir un système ancien de dominance.

Jusqu'à la fin du 19ème siècle, il était malvenu en France à un noble de travailler pour vivre, car c'était là affaire de parvenus, indigne de leur statut issus de la classe militaire. Cela allait en outre contre la croyance religieuse catholique que l'enrichissement personnel était un motif de damnation, car seule l'Église pouvait posséder des richesses matérielles, l'Homme devant se contenter de garder son rang dans la dignité mais non dans l'opulence. Les Hollandais puis les Anglo-Saxons, débarrassés de ce dogme par la Réforme, pensent au contraire que l'enrichissement personnel est une grâce divine et l'encouragent.

Le but maintenant de ces peuples est de s'enrichir le plus possible, en utilisant tous les moyens connus du commerce et de la finance, afin que le plus de gens puissent en bénéficier. Les travers de cette doctrine sont hélas bien connus puisque cela a engendré une nouvelle classe de dominés après les esclaves et les serfs : les prolétaires. Totalement liés à leur patron, ils ont juste de quoi survivre et vivent dans une grande misère tout en travaillant comme des forcenés, chose qui n'aurait jamais été admise pour les esclaves, car ils étaient la propriété de leur maître et avaient une valeur marchande ! Mais comme il n'y a plus d'esclaves et que le salarié peut théoriquement changer d'employeur comme il le veut, ce dernier peut faire jouer la concurrence salariale vers le bas et forcer son employé à travailler plus pour lui, et ce pour le moins possible. Ce système est parfait pour l'employeur tant que la main d'oeuvre est plus nombreuse que les emplois disponibles, car la peur du chômage, et donc du dénuement, fait accepter les conditions les plus dures...



Ce rapport de forces entre dominant et dominé est heureusement tempéré par l'action conjointe des forces organisées qui empêchent une trop grande dominance, et comme les profits générés le permettent, obligent les capitalistes les moins clairvoyants à partager les richesses produites, pour le bien de tous.

Ne laissons pas les maîtres de l'immoralité faire croire que le manque de travail est une calamité intrinsèque qui souille à jamais celui qui le vit. Au contraire, faisons en sorte que la solidarité enfin permise à une large échelle permette à l'homme de garder sa dignité et de s'épanouir dans une activité qui ne soit pas forcément que salariée. L'artisanat a une noblesse qui est en train de ressurgir au grand jour après des décennies d'opprobre bourgeoise. L'indépendant peut lui aussi choisir son mode et sa durée d'activité en fonction de ses besoins et aspirations.

Alors, l'avenir qui se profile et qui va rendre rare le travail (car faute d'une population active suffisante les entreprises vont devoir revoir leur manière de présenter le travail) permettra-t-elle enfin aux salariés de ne plus se faire dominer par un capitalisme sauvage ?

Le futur travailleur sera-t-il un indépendant multi-salarié, organisant son temps de travail en fonction des besoins de sa vie privée et non l'inverse ? Une vie active qui peut s'étendre sur une longue période, avec des "trous" de vacances ou de loisirs ou de bénévolat qui ne l'empêcherait nullement de retrouver un autre emploi ?

Qu'il soit ouvrier spécialisé, artisan, profession libérale ou employé du tertiaire le travailleur du travail, je l'espère, devra inventer un nouveau mot pour le qualifier car le travail n'aura plus grand-chose à voir avec la torture...

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